42. La basilique Saint-Pierre de Rome, de Michel-Ange, Bramante et le Bernin
VOIR la basilique Saint-Pierre de Rome est une expérience très étonnante. L'extérieur est déjà très impressionnant, et la célèbre colonnade du Bernin est un trait de génie. Mais c'est l'intérieur qui m'a le plus marqué, par ses dimensions totalement hors normes. Notre-Dame de Paris, qui est déjà une cathédrale honorable, tiendrait entièrement, flèche comprise, sous la coupole de Saint-Pierre.
La principale impression que je retire de Saint-Pierre, c'est la démesure. Comment peut-on, après avoir construit un bâtiment aussi éloigné de toute mesure humaine, prétendre comprendre la moindre notion de spiritualité ? C'est un bâtiment époustouflant, un chef-d'œuvre, mais il discrédite la prétention de l'Église catholique à parler de l'homme. Saint-Pierre prouve que l'objectif de l'Église catholique est le pouvoir, et que le salut de l'homme n'est pas son affaire, n'est pas son échelle de référence. La tête de l'Église catholique se place volontairement dans un monde de géants où les humains n'ont pas leur place. De ce point-de vue, Saint-Pierre de Rome est d'une franchise étonnante.
Plus étonnant encore, l'une des grandes portes de bronze, celle par laquelle nous sommes sortis, portait sur ses deux vantaux ouverts qui se faisaient donc face, deux images de l'humanité : le sourire de Jean XXIII et d'horribles scènes de torture...
Je n'arrive pas à trouver d'information à ce sujet. Je ne comprends pas comment on peut représenter ainsi des papes engoncés dans leurs riches vêtements et leurs tiares passer la journée confortablement assis face à des gens pendus par les pieds à des barbelés. Ce doit être mon athéisme qui m'interdit de voir là un message utile…
Bien sûr, au-delà de ces étonnements, Saint-Pierre est également un concentré de chefs-d'œuvre fascinants.
Le petit angelot ci-dessus est chargé, avec un collègue, de porter l'un des deux bénitiers de la basilique. Chacun de ces angelots mesure deux mètres de haut…
Dommage que la Pièta de Michel-ange soit dans la pénombre derrière une vitre et qu'on n'arrive pas à mieux la voir, car c'est la seule parcelle d'humanité que j'ai aperçue dans cette visite. Une mère assommée de douleur, qui ne comprendra jamais pourquoi Dieu s'est mis en tête qu'il fallait torturer son fils jusqu'à la mort. Là encore, mon athéisme n'a pas été ébranlé…
Jo
J'ai trouvé sur clio.fr un article de Paul Poupard, président du conseil pontifical de la culture. Voici ce qu'il dit de la porte dont je parle ci-dessus.
« À gauche [de la porte centrale], la porte des Morts a été consacrée au mystère des morts humaines et chrétiennes par Giacomo Manzù, compatriote bergamasque de Jean XXIII. Paul VI l'a inaugurée le 28 juin 1964. Elle présente en haut à gauche la dormition de la Vierge ; à droite la déposition du Christ ; en bas, la mort de saint Joseph, d'Abel, le martyre de saint Étienne, la mort en exil du pape Grégoire VII, une catastrophe aérienne, la mort d'une mère. Enfin, agenouillé sur la terre nue, Jean XXIII pressentant sa mort prochaine prie pour l'Église et le concile, la paix et l'humanité. »
Je vois Jean XXIII assis confortablement, et non agenouillé sur la terre nue. Je n'ouvre sans doute pas les bons yeux. Toujours est-il que cette explication ne change pas ce que j'ai ressenti envoyant cette porte : de la complaisance avec la torture, à un niveau encore plus étonnant qu'en Espagne (où on a représenté à l'envi les saints étranglés, écorchés, pendus, flagellés, éviscérés, estropiés, grillés, battus ou dénoyautés). Il faut dire que la croix chrétienne n'est pas un symbole neutre et que quand un artiste catholique représente un cœur, il le coiffe d'une couronne d'épines…