53. Sur l'oreiller, de Juliette

Publié le par Jo

J'aurai beaucoup trop chaud peut-être,
Il fera sombre, que m'importe.
Je n'ouvrirai pas la fenêtre
Et laisserai fermée ma porte.
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs :
Votre parfum sur l'oreiller.

Laissez-moi deviner
Ces subtiles odeurs
Et promener mon nez,
Parfait inquisiteur.
Il y a des fleurs en vous
Que je ne connais pas
Et que gardent, jaloux,
Les replis de mes draps.
Oh, la si fragile prison !
Il suffirait d'un peu de vent
Pour que les chères émanations
Quittent ma vie et mon divan.
Tenez, voici, j'ai découvert,
Dissimulées sous l'évidence
De votre Chanel ordinaire,
De plus secrètes fulgurances.
Il me faudrait les retenir
Pour donner corps à l'éphémère,
Recomposer votre élixir
Pour en habiller mes chimères.
Sans doute il y eut des rois
Pour vous fêter, enfant,
En vous disant : « Reçois
Et la myrrhe et l'encens »
.

Les fées de la légende,
Penchées sur le berceau,
Ont fleuri de lavande
Vos yeux et votre peau.
J'ai deviné tous vos effets :
Ici l'empreinte du jasmin,
Par là la trace de l'oeillet
Et là le soupçon de benjoin.
Je pourrais dire ton enfance,
Elle est dans l'essence des choses,
Je sais le parfum des vacances
Dans les jardins couverts de roses :
Une grand-mère aux confitures,
Un bon goûter dans la besace,
Piquantes ronces, douces mûres,
L'enfance est un parfum tenace.
Tout ce sucre c'est vous,
Tout ce sucre et ce miel,
Le doux du roudoudou,
L'amande au caramel,
Les filles à la vanille,
Les garçons au citron,
L'été sous la charmille,
Et l'hiver aux marrons.
Je reprendrais bien volontiers
Des mignardises que tu recèles
Et retrouverait dans mon soulier
Ma mandarine de Noël.

Voici qu'au milieu des bouquets
De douces fleurs et de bonbons
S'offre à mon nez, soudain inquiet,
Une troublante exhalaison :
C'est l'odeur animale
De l'humaine condition,
De la sueur et du sale
Et du mauvais coton,
Et voici qu'ils affleurent,
L'effluve du trépas,
L'odeur d'un corps qui meurt
Entre ses derniers draps.

Avant que le Temps souverain
Et sa cruelle taquinerie
N'emportent votre amour ou le mien
Vers d'autres cieux ou d'autres lits,
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs :
Toute votre âme sur l'oreiller.


(Paroles et muisque de Juliette Noureddine)


JULIETTE Noureddine est une chanteuse magnifique, qui sait tout faire : tendresse, humour, gravité, badinage… Nous l'avons vue trois fois sur scène, où elle excelle. Elle est pour moi ce qu'il y a de meilleur depuis longtemps dans la chanson française. Sur l'oreiller, chanson d'amour sensuelle et triste, est l'un de ses plus beaux textes. 

Jo 

Publié dans Chansons

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B
<br /> Bonjour Jo,<br /> <br /> contente que tu sois en repos... J'espère que ça va un peu mieux.<br /> J'aime beaucoup Juliette.<br /> Trop peu connue ou trop peu aimée...Sorte de "grand personnage" encore bien mal apprécié...<br /> <br /> Connais-tu Colette Magny ?<br /> Je file mettre un titre que j'aime beaucoup sur mon blog...<br /> Si tu ne connais pas...Mélocoton...ça va te faire du bien tu verras...<br /> <br /> bises<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Salut Bambi ! Je vais plutôt bien, mais je sens bien que c'est parce que je ne travaille pas cette semaine. Le nouvel antidépresseur met un peu de temps à faire effet, mais aujourd'hui c'est<br /> mieux qu'hier, déjà. J'adore Juliette, mais non, je ne connais pas Colette Magny. Je vais voir ton blog de ce pas. Bises !<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Lorsque je n'étais pas bien j'écoutais une chanson de Ferrat "Mourir au Soleil" qui disait ceci :<br /> <br /> Je voudrais mourir debout, dans un champ, au soleil,<br /> Non dans un lit aux draps froissés,<br /> A l'ombre close des volets,<br /> Par où ne vient plus une abeille,<br /> Une abeille ...<br /> <br /> Je voudrais mourir debout, dans un bois, au soleil,<br /> Sans entendre tout doucement,<br /> La porte et le chuchotement,<br /> Sans objet des femmes et des vieilles,<br /> Et des vieilles ...<br /> <br /> Je voudrais mourir debout, n'importe où, au soleil,<br /> Tu ne serais pas là j'aurais,<br /> Ta main que je pourrais serrer,<br /> La bouche pleine de groseilles,<br /> De groseilles ...<br /> <br /> ....Ta chanson est belle mais elle me fait peur.<br /> <br /> Je t'embrasse très fort<br /> <br /> <br />
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J
<br /> J'ai été maladroit, Cathy. J'aurais tout à fait pu publier une autre chanson, par exemple Ma fille Lucy, Sentimental bourreau ou l'Homme à la moto, mais il n'y a en pas tant que ça disponibles sur<br /> la Toile dans une qualité correcte. J'ai trouvé une version audible de Ma fille Lucy, mais illustrée par des images complètement à côté de la plaque. C'est surtout pour sa qualité littéraire que<br /> c'est celle-ci que j'ai choisie, et pas par rapport à mon humeur, qui est mélancolique par moments, mais pas noire. Je t'embrasse.<br /> <br /> <br />